Jean-Antoine Chaptal

(1756-1832)

L'Association des Honneurs Héréditaires vient d'accueillir la famille Chaptal. Contrairement à beaucoup de membres de notre association, cette famille ne compte pratiquement pas de militaires sauf à la fin du vingtième siècle. Mais dès la création de l'Ordre, un Chaptal fut distingué et après lui son fil puis son petit-fils furent reçus dans l'ordre de la Légion d'Honneur, toujours à titre civil.

 

Le membre le plus illustre de cette famille est sans conteste Jean-Antoine Chaptal dont il a paru utile de rappeler qui il était.

La famille Chaptal est originaire du Gévaudan, l'actuelle Lozère. C'est un pays rude qui forge les caractères et où un sou est un sou.

La branche qui nous occupe était propriétaire au XVIIIème siècle à Badaroux, près de Mende. Sans être très riche, elle bénéficiait d'une bonne aisance et si les aînés se fixaient traditionnellement sur la propriété, les cadets devenaient ecclésiastiques, avocats ou médecins. Jean-Antoine, un de ces cadets justement, naquit en 1756 et après une scolarité brillante à Mende puis à Rodez, partit pour Montpellier, où un de ses oncles médecin, lui fit faire des études de médecine. Celles-ci ne le passionnaient pas et, assez rapidement il devint chimiste. Remarquons qu'il fut nommé professeur de chimie à l'Université de Montpellier et que c'est cette nomination qui lui fit découvrir la chimie. Il était très intelligent, avait une excellente mémoire, était très travailleur et avait un esprit tourné vers l'expérimentation. Cela du l'aider. Toujours est-il qu'en 1788, il avait trente et un ans, il était professeur titulaire de la chaire de chimie de l'Université de Montpellier puis de celle de Toulouse. Le roi lui avait accordé le cordon de Saint-Michel et des lettres de noblesse pour la qualité de son enseignement.

Parallèlement, il avait noué dans la région des relations sociales qui lui furent bien utiles. Il se lia avec les Cambacérès et cette amitié dura jusqu'à la mort. Les Cambacérès c'était l'aristocratie, l'épiscopat, la franc-maçonnerie. Il fréquenta aussi le négoce et l'industrie et épousa même une demoiselle Lajard, fille d'un important négociant de la région. Ce mariage, d'amour certes, mais auquel la fortune ne nuisit pas, l'aida beaucoup. Très rapidement, il mit en application ses travaux de chimie et créa à côté de Montpellier une usine où il fabriqua en grand toutes sortes de produits chimiques. Il gagna une petite fortune.

La Révolution ne le surprit pas vraiment. La fréquentation des loges l'avait préparé aux idées nouvelles. Mais la brutalité du mouvement l'inquiéta et il fut de ceux qu'on appela les Fédéralistes, qui tentèrent d'en limiter les excès. Ils furent vite débordés et notre Jean-Antoine Chaptal fut arrêté. Montpellier n'étant pas aussi virulent que Paris, il fut libéré mais jugea plus prudent de partir se cacher dans les Cevennes. Il raconte dans ses souvenirs qu'au cours de cette période, il fut sollicité par de nombreuses personnalités étrangères qui se proposaient de l'accueillir pour profiter de ses qualités de chimiste et d'industriel : l'Infant d'Espagne, la Reine de Naples et même, Washington, le Président des Etats-Unis. Son refuge ne devait pas être trop secret.

C'est à ce moment-là que Carnot le fit nommer Inspecteur général des poudres et salpêtres. Les armées de la Révolution avaient besoin de beaucoup de poudre. Chaptal sut organiser la production de poudre et son acheminement. Une poudrerie fonctionnait à Grenelle. Le Comité de Salut Public exigeait toujours plus de poudre et ceci au détriment de la sécurité. Et un jour tout sauta. Il y eut plus de mille morts. A la même époque, Saint-Germain des Prés servait d'atelier de raffinage pour la poudre. Ici encore, le zèle maladroit des représentants du Comité de Salut Public provoqua un incendie. Chaptal ne sauva sa tête que parce que le 9 thermidor était passé par-là.

Chaptal rentra à Montpellier s'occuper de ses affaires.

Chaptal était un homme de terrain. L'essentiel de son œuvre tourne autour de l'application de la science à l'agriculture ou à l'industrie. La lecture de ses livres est encore facile, et, même un non initié s'y retrouve. On y remarque un côté pratique qui vient probablement de ses origines paysannes : il y a des conseils utiles pour économiser l'argent ou le travail, pour ne rien gaspiller. Il faut se souvenir aussi que la France devait, à l'époque, lutter contre la concurrence anglaise et, plus tard, contre le Blocus continental. D'où l'intérêt, par exemple, de fabriquer du sucre pour se passer des importations. Et Chaptal, tout ministre qu'il était, n'hésita pas à installer à Chanteloup, dans sa propriété personnelle, des ateliers pour expérimenter ce qui devait donner naissance à l'industrie sucrière en France.

Chaptal aurait pu se contenter d'être un industriel de talent, un professeur et un savant reconnu, une personnalité locale dont la réputation débordait largement les frontières de sa région et même de la France.

Mais au lendemain du 18 brumaire, il fut appelé au Conseil d'Etat sur les conseils de son ami Cambacérès. Là, il fit la connaissance de Bonaparte qui dut l'apprécier puisque dix mois plus tard, il lui confia le Ministère de l'Intérieur. Il eut à y organiser, créer ou recréer ce que dix ans de révolution avaient démoli. Bonaparte décidait et supervisait beaucoup mais il laissait son ministre exécuter et de grandes réussites en résultèrent : hôpitaux, embellissement et assainissement de Paris, statistiques de l'économie du pays, organisation de l'instruction publique, relèvement du commerce, de l'industrie et de l'agriculture etc…

En 1804, au bout de quatre ans, Chaptal fut remercié. Il fut nommé grand officier de la Légion d'honneur, ordre que Napoléon venait de créer. Il entra au Sénat et y siégea jusqu'à sa mort, en 1832. Il y était très écouté et y faisait un peu figure de sage.

La chute de l'Empire, la première Restauration, les Cent-Jours, la deuxième Restauration, la Révolution de 1830, puis la Monarchie de Juillet, ne changèrent rien à sa situation. Praticien et non politique, il continua son action presque comme si de rien n'était. Louis XVIII le nomma grand-croix de la Légion d'honneur et le créa pair de France.

Louis-Philippe confirma le tout.

Chaptal n'est pas très connu du grand public, bien moins qu'un Laplace ou qu'un Talleyrand. Mais il est curieux de constater que deux siècles plus tard, des savants, des professeurs, des industriels s'intéressent à son œuvre. Des colloques réunissant des personnalités diverses lui sont régulièrement consacrés. Un ingénieur général de l'armement, qui avait accepté de faire une conférence sur le rôle de Chaptal à la tête du service des poudres, avouait avoir été surpris de découvrir, en préparant son exposé, le caractère attachant de sa personnalité et l'actualité de sa manière de traiter les affaires. Plusieurs de ses livres ont été réédités récemment. Ses livres en édition originale atteignent des cotes relativement élevées et " l'art de faire le vin ", à Bordeaux, fait partie de la bibliothèque de tout amateur de vin, bien que l'œnologie ait fait de grands progrès depuis l'invention de la chaptalisation. Notons en passant que ce procédé est toujours en vigueur d'une manière tout à fait légale et que les grands crus n'y répugnent pas quoiqu'on en dise. En 2000, il avait même été envisagé d'obtenir le transfert de ses cendres au Panthéon. La Société d'encouragement pour l'industrie nationale que Chaptal contribua à fonder en 1801, vit toujours. Elle décerne chaque année un prix " Chaptal " à un industriel. François Michelin en 1996, Serge Dassault en 1998, reçurent un " Chaptal ".

Il semble bien que la mémoire, l'intelligence et l'autorité sont bien répandues parmi les dirigeants de toutes les époques. Le sens pratique, l'aptitude à tenir compte de la réalité associés à ces qualités indispensables sont plus rares. C'est sans doute ce qui rend Chaptal intéressant. Il était tout sauf un technocrate.

Colonel Chaptal de Chanteloup - AHH 662