Que transmettent les familles de sportifs ?

Notre association est moins bien placée pour suivre les familles de sportifs que celles d’offi­ciers ou de médecins. Nos modestes connaissances en matière de sport ne nous ont permis d’identifier que deux familles comptant trois générations consécutives de sportifs de haut niveau, ce qui fait peu pour en tirer des statistiques significatives ! Cependant, la monographie de ces deux cas suffit à poser la question du type de transmission mis en œuvre dans ces familles : plutôt des capacités physiques transmises génétiquement, un esprit de compétition acquis comme mentalité familiale, ou des techniques gestuelles enseignées par l’entraînement ?

Une famille de cyclistes : les Martinez

La famille Martinez, immigrée de Burgos (León, Espagne) et naturalisée au début des années 1960, a produit depuis lors un rare ensemble de sept coureurs cyclistes sur trois générations consécutives : les frères Martin (1946), Mariano (1948) et Manuel Martinez (1954) ; puis à la deuxième génération Raphaël (1972), fils de Martin, et Miguel (1976) et Yannick (1988), fils de Maria­no ; et à la troisième génération Lenny (2003), fils de Miguel.

Mariano Martinez le 14 juillet 1980 sur le Tour de France
entre Serre-Chevalier et Morzine. Leverne, Wikimedia Commons.

Tous ont pratiqué le vélo sur route, et la plupart aussi le vélo tout terrain ou le cross cyclo-pédestre. Les trois membres de la lignée aboutissant à Lenny ont pratiqué les deux types de cyclisme et sont tous considérés comme d’excellents grimpeurs : Mariano a gagné le grand prix de la montagne du Tour de France en 1978, Miguel a été classé meilleur grimpeur du Tour méditerranéen en 2003, et Lenny, dont la carrière professionnelle n’a débuté qu’en 2022, a remporté sa première victoire dès 2023 dans l’ascension du mont Ventoux.

Miguel Martinez en 2021. Marcigny 71, Wikimedia Commons.

Spécialisé en vélo tout terrain, Miguel apparaît comme le plus titré de la famille à ce jour : champion de France, d’Europe et du monde après l’avoir été en catégories juniors et espoirs, et champion olympique avec une médaille de bronze à Atlanta et une médaille d’or à Sydney, qui lui valurent d’être nommé chevalier successivement de l’ordre national du Mérite puis de la Légion d’honneur par décrets du 29 août 1996 et du 31 octobre 2000.

Lenny Martinez vainqueur en 2023 au mont Ventoux. William Çannarella, Wikimedia Commons.

En 2021 dans L’Équipe, Olivier Haralambon analysait cette histoire familiale au regard de la formation et de « l’esprit de famille » :

 
Le cyclisme désormais est une science autant qu’un savoir-faire, et son apprentissage est plus qu’une simple transmission. Longtemps, les cou­reurs apprirent comme dans l’atelier d’un maître — en ce sens, Miguel a appris auprès de Mariano comme Velasquez avait appris dans l’atelier de Pacheco.
Mais la génération de Lenny travaille au capteur de puissance. Non qu’il n’écoute les conseils des ascendants, mais il a aussi un entraîneur. Il fait le tri : « Ça passe dans l’oreille, il en reste et il en ressort. Oui, mon grand-père me donne des conseils tactiques : parfois ça fonctionne. Mais on n’est pas toujours d’accord. Il dit que je devrais moins boire en course, moi je pense qu’il a tort. » Même en cyclisme, la science est meuble.
Il faut dire que chaque midi, tout le monde se retrouve, en famille, chez papi et mamie. Lenny y vient déjeuner au retour de l’entraînement. Miguel et son frère Yannick (qui fut pro lui aussi) y passent pour le café, avant d’aller rouler eux-mêmes.
 

Mais une famille engagée tout entière dans un seul sport met moins bien en évidence les dispositions innées qu’une famille omnisport, dont les membres partagent un physique athlétique.

Une famille omnisport : les Noah

Car chez les Noah aussi, la grande affaire, c’est le sport. La famille d’origine camerounaise le prouve par le niveau de ses membres : trois générations, trois sports, trois champions. Leurs dispositions physiques s’épanouissent en effet dans divers sports, mais les Noah vivent tous au rythme des compétitions.

Le premier de la lignée était Zacharie (1937 – 2017). Footballeur, il commence sa carrière à l’âge de 19 ans. En 1957, il rejoint l’équipe de Sedan, avec laquelle y fait toute sa carrière. En 1961, l’équipe est finaliste du Trophée des champions, compétition française organisée par la Ligue de football professionnel, avant de remporter la Coupe de France en 1961 face à Nîmes (3-1). Son épouse, Marie-Claire, fille de journaliste sportif, joue en compétition au basket et au tennis.

Leur fils Yannick (1960) a offert au public de belles émotions sportives au cours de sa carrière tennistique. Il est tour à tour champion de France des cadets (1975), champion de France juniors (1977), vainqueur du Grand Prix Passing-Shot en cinq sets face à l’américain Harold Solomon (1979, à Primrose), sans oublier la date du 5 juin 1983 où il remporte le tournoi de Roland-Garros en trois sets (6-2, 7-5, 7/6) face à Mats Wilander. En 2022, la République honore son champion : Yannick Noah est nommé chevalier de la Légion d’honneur par décret du 29 décembre en qualité « d’ancien joueur de tennis, président d’associations d’éducation et d’insertion ». La gloire tennistique de Noah va durer longtemps, et l’histoire sportive de sa famille encore au-delà.

Yannick Noah en 1983. El Gráfico, Wikimedia Commons.

Le troi­sième de la lignée est Joakim (1985). Basketteur, il est inscrit dès l’âge de 3 ans par ses parents au Paris-Levallois-Basket. En 2007, il participe à la Draft N.B.A., qu’il intègre par la suite en rejoignant les Bulls de Chicago. Entre 2009 et 2011, il est sélectionné par l’équipe de France. En 2011, il est vice-champion d’Europe.

Joakim Noah en 2011.
Keith Allison (Owings Mills, États-Unis), Wikimedia Commons.

Quel que soit le mode de transmission de son haut niveau, le sport a offert à ces deux familles, au fil des généra­tions, une voie d’accomplissement et simultanément dans leur cas d’intégration nationale, déjà consacrée par la Légion d’honneur. Grâce à la diversité de ses pratiquants, il favorise aussi l’insertion sociale, que, notamment, l’association Fête le mur, fondée en 1996 par Yannick Noah, s’efforce de réaliser par le tennis. D’ailleurs, certains membres de notre association ne manquent pas non plus, en présentant leur propre famille, de souligner ce que le sport leur a apporté de lien entre générations, d’équilibre personnel, de sens de l’effort, de la compétition et de la loyauté. Cette transmission-là aussi mérite d’être reconnue.

Pierre Jaillard et Typhaine Jourdier.