Hommage à l’héroïque capitaine Pierre Leroy-Beaulieu et à sa famille

Rémi Leroy-Beaulieu (AHH 465) a bien voulu nous communiquer le texte dont le présent article est extrait. Ce texte comprend aussi de précieux témoignages authentiques sur les circonstances de la mort du capitaine Pierre Leroy-Beaulieu. Le président de l’A.H.H. a été invité à un hommage rendu à celui-ci le 22 septembre 2019 à Bucy-le-Long par la municipalité de Bucy-le-Long, l’association Ceux de Verdun, la Société des membres de la Légion d’honneur, les Artilleurs de Picardie, le Groupement des réservistes de la défense de l’Aisne et les Anciens Combattants de Bucy-le-Long, avec une messe célébrée par un aumônier militaire et un piquet d’honneur du 40e régiment d’artillerie de Suippes.

 

 

Le 11 novembre 1982, à Bucy-le-Long, le quartier du Montcel — le charmant petit quartier où j’ai grandi — honorait ce courageux et noble officier d’artillerie grièvement blessé dans ces lieux en janvier 1915.

L’Aisne nouvelle, journal local, s’en fait l’écho dans ses colonnes :

Le quartier du Montcel a connu une activité inhabituelle jeudi matin, journée du souvenir à l’occasion de l’inauguration officielle de la rue du Capitaine-Leroy-Beaulieu. En présence des élus locaux, des habitants du quartier et des représentants de la section locale des anciens combattants, le fils du capitaine Leroy-Beaulieu a dévoilé la plaque qui porte le nom de ce combattant de la Grande Guerre.

« Le capitaine Leroy-Beaulieu est tombé en héros à quelques centaines de mètres de cet endroit, à la carrière du Montcel ; il commandait en 1915 une pièce d’artillerie », s’est plu à souligner le maire, M. Husson, avant de rappeler la carrière de cet homme exceptionnel, abattu à l’âge de 44 ans.

« Rédacteur et directeur du journal L’Économiste français, maître de conférences à l’École libre des sciences politiques, professeur de géographie économique et député de l’Hérault depuis 1906.

« Nous rendons hommage à un brillant citoyen et à un valeureux soldat », a encore ajouté le maire.

Un brillant économiste

Pierre Leroy-Beaulieu était né au château de Monplaisir, commune d’Olmet-et-Villecun, canton de Lodève, dans le département de l’Hérault, le 25 septembre 1871, de Paul, âgé de 27 ans, propriétaire viticulteur, chevalier de la Légion d’honneur, domicilié à Paris, 27 avenue de l’Impératrice, et d’Irénée Marie Cordélia Michèle Chevalier. Il était le seul fils de cette union.

Par permission expresse de l’évêque de Montpellier, son baptême eut lieu au château de Monplaisir même et non pas dans une église. Le parrain était Michel Chevalier, son grand-père maternel, et la marraine Mme Pierre Leroy-Beaulieu, née Sainte-Chapelle, sa grand-mère paternelle. Pierre fit de brillantes études au lycée Condorcet à Paris, où il remporta le prix d’excellence dans toutes les classes. Il obtint aussi de nombreux prix au Concours général.

Il s’engagea volontairement pour trois ans à la mairie du Ve arrondissement de Paris le 21 octobre 1890. Il a été compris sur la liste de recrutement de la classe 1891 de la subdivision de la Seine (3e bureau), n° 162 du tirage dans le canton du XVIe arrondisse­ment de Paris. Il entre à l’École polytechnique[1] le 21 octobre 1890 (promotion 1890-1892 ; les promotions de l’X n’ont pas de nom, contrairement à Saint-Cyr). À sa sortie, le sous-lieutenant-élève fit son stage d’artillerie à l’École d’application de l’artillerie et du génie à Fontai­nebleau, à partir du 1er octobre 1892 ; il s’y trouvait encore lorsqu’il publia dans le journal de son père, L’Économiste français, son premier article sur l’entrée des Français à Tombouctou.

En 1895, il part en voyage autour du monde, après avoir démissionné de l’armée (sa démission avait été acceptée en octobre 1894). Il voyage, muni de lettres de recommandation pour les hommes notoires de chaque pays. Ce voyage, ou plutôt ces séjours à l’étran­ger, furent suivis d’autres selon les appels de l’actualité (par exemple, son voyage en Afrique du Sud au moment de l’affaire des Boers[2]).

De 1896 à 1905, il publie une vingtaine d’articles dans la Revue des deux mondes et quelques centaines dans L’Économiste français, après avoir parcouru l’Afrique, l’Australie, le Japon, les États-Unis, le Mexique, la Sibé­rie et la Chine. Il écrivit plusieurs ouvrages, tous traduits en anglais et en allemand : Les Nouvelles Sociétés anglo-saxonnes, couronné par l’Académie française (Australie, Nouvelle-Zélande, Afrique australe), La Rénovation de l’Asie : Sibérie, Chine, Japon, Les États-Unis au xxe siècle.

Dès 1896, Émile Boutmy[3] lui confia la chaire de géographie économique à l’École des sciences politiques, où il succéda à Alfred de Foville[4] et à Levasseur[5]. Ce fut l’un des maîtres les plus écoutés de la célèbre école.

En avril 1900, le 18 avril, il avait épousé dans la cathédrale de Reims Mlle Louise Jeanne Marcelle Hourblin, fille d’un industriel rémois fabricant de flanelle, qui lui donna six enfants.

Dès 1902, par goût et sous l’influence de sa mère, il se présenta aux élections législatives à Lodève. Avec un tempérament entièrement différent de celui de son père, Paul, ardent, combatif, violent même, aimant la parole et parlant bien, sachant convaincre, il vit aussitôt se grouper autour de lui des partisans enthousiastes. Mais il ne fut pas élu. Le gouvernement le combattit, comme il avait combattu son père. En 1906, il fut élu député de Montpellier avec 500 voix de majorité ; ce fut au premier tour le seul siège gagné en France sur le Parti radical. Il avait réuni sur son nom tous les conservateurs et les libéraux. Ses adversaires n’ayant pu le battre, le firent invalider par la Chambre le 29 décembre. En quittant la salle des séances le 31 décembre, il lança : « Au revoir, Messieurs ; à l’année prochaine ! »

En avril 1907, malgré une campagne d’une violence incroyable et un attentat qui le blessa au bras et faillit lui coûter la vie, il fut réélu brillamment avec 8 278 voix contre 5 410 à un certain Laurent, son principal adversaire.

Inscrit au groupe progressiste, membre de la commission de la législation fiscale, il déposa une loi tendant à ouvrir un crédit en faveur des agriculteurs de l’arrondissement de Montpellier, victimes des gelées et de la grêle, intervint dans la discussion du projet et des propositions de loi concernant l’impôt sur le revenu et déposa un amendement tendant à exonérer les petits revenus mobiliers. Il prit part à la discussion du projet de loi concernant les contributions directes et taxes assimilées. Il interpella le gouvernement sur les conditions de la nouvelle évaluation des propriétés non bâties et sur l’insuffisance des renseignements fournis par l’administration aux contribuables intéressés, et posa deux questions écrites, l’une sur les bulletins adressés par l’administration des contributions directes aux viticulteurs de l’Hérault, l’autre sur le discrédit jeté par certains manuels scolaires sur le produit de la vigne. Il fut réélu de nouveau en 1910 au second tour de scrutin, toujours contre Laurent. Il fit à la Chambre 82 discours, soit une moyenne de 10 par an. Il déposa alors une proposition de loi tendant à ouvrir un crédit extraordinaire de 200 000 francs pour venir en aide aux populations victimes d’orages extrêmement violents au cours des mois de septembre et d’octobre 1911. Il fit un rapport sur la proposition de loi tendant à organiser le contrôle préventif des dépenses. Il interpella le gouvernement sur sa politique générale, ainsi que sur les mesures qu’il comptait prendre pour faire respecter les libertés de la République, et notamment la liberté d’opinion. Il fut de nouveau candidat en 1914, mais son principal concurrent, Pezet, obtint, au second tour de scrutin, 692 voix de plus que lui. Pierre Leroy-Beaulieu fut battu parce qu’il avait voté la loi du service militaire à trois ans. Très lié avec le comte Henri de Rodez-Benavent[6], qui devait lui succéder à la Chambre « bleu horizon » en 1919, il organisa avec lui la lutte politique contre « le Bloc » (la gauche anticléricale) dans le département de l’Hérault.

Il fut élu conseiller général du canton de Saint-Martin-de-Londres, en 1906 ; il l’était encore à sa mort, ce qui explique en partie qu’une des principales salles du conseil général à la préfecture de Montpellier porte son nom. Dans ce canton, il fit l’acquisition du château et du domaine de Cambous avec ses 3 000 hectares et 5 000 moutons, près de Viols-le-Fort. Dans la même région, son père avait acheté aussi le petit château et le domaine de Rouet (700 hectares) près de Notre-Dame-de-Londres.

Un héros français

Pierre Leroy-Beaulieu avait 43 ans et six enfants jeunes lorsque la guerre éclata. Capitaine d’artillerie depuis le 3 octobre 1905, il est rappelé à l’activité par la mobilisation générale et arrive au corps en rejoignant son régiment d’artillerie, le 9e régiment d’artillerie de campagne à Castres, le 3 août 1914. Rapidement, il passe au commandement de la 1re batterie de 90 du 5e groupe des divisions de réserve par le dépôt du 13e régiment d’artillerie de campagne (colonel Dauve) à Vincennes le 10 novembre 1914.

En réalité, l’affectation de Pierre Leroy-Beaulieu est au groupe d’artillerie de 90, 5e groupe de division de réserve de la 6e armée — 13e régiment d’artillerie — état-major de l’artillerie, secteur postal 76, d’après les courriers de ses camarades adressés à madame, son épouse.

Le 13 janvier 1915, il commandait à Bucy-le-Long, rive droite de l’Aisne, sur les hauteurs de ce quartier appelé Montcel, une batterie de 90. Quand la crue de la rivière eut rendu impossible le passage des renforts qui eussent permis de résister à la grande attaque allemande, l’ordre fut donné de se replier. Le capitaine Leroy-Beaulieu obéit et fit partir tous ses hommes ; quelques canons tiraient encore Le capitaine se dirigea vers eux ; les servants étaient tués lorsqu’il arriva. L’officier chargea lui-même les pièces et les pointa contre les Allemands. Ceux-ci, avançant en nombre, le sommèrent de se rendre. Il répondit en faisant feu avec son révolver. Un feldwebel agile, grimpant sur un canon derrière l’héroïque officier, lui asséna un coup de crosse qui lui fracassa la tempe… Transporté par l’ennemi dans l’ambulance allemande du château d’Anizy (qui appartenait à la famille d’Aramon), Pierre Leroy-Beaulieu, inconscient et dans un demi-coma, s’évada mais fut vite retrouvé par les Allemands.

Quatre jours plus tard, le 17 janvier, il expirait… Telle fut sa mort, si belle que les Allemands eux-mêmes l’honorèrent de manière exceptionnelle.

Ils rendirent les honneurs militaires à sa dépouille et inscrivirent sur sa tombe, au cimetière militaire d’Anizy, ces mots que sa veuve et ses enfants lurent avec émotion lorsqu’ils y vinrent en janvier 1919 : Hier ruht ein französischer Held (« ici repose un héros français »). Georges Guynemer en septembre 1917 reçut les mêmes honneurs. Ils ne sont que deux sur 1,4 million de morts français dans l’histoire de la Grande Guerre. Les cinq dernières lignes du communiqué de guerre officiel du grand quartier général allemand relatif à la bataille de Soissons relatèrent et citèrent en exemple la mort de Pierre Leroy-Beaulieu. Le 29 juin 1915, enfin, l’écrivain allemand Bernhard Kellermann[7], correspondant de guerre durant ce conflit, publiait dans le Berliner Tageblatt (l’un des plus grands journaux quotidiens d’Allemagne d’alors) un article en pre­mière page où il évoquait ce fait d’armes comme suit :

Au cimetière d’Anizy-le-Château repose un commandant de batterie français, le capitaine Leroy-Beaulieu. Ses hommes étaient tous morts lorsque nos troupes arrivèrent. Il servit tout seul ses canons jusqu’au dernier obus, puis se défendit avec son simple révolver contre nos soldats qui l’assaillaient… Hourrah ! Pour nos soldats… Hourrah, pour le capitaine Leroy-Beaulieu… Je l’aime et je l’admire ; il incarne la France chevaleresque.

Ces hommages rendus en pleine guerre, par un ennemi qui n’en était pas prodigue, constituent la plus belle citation et un titre de gloire sur lequel discoururent longuement, le 30 septembre 1922, à l’enterrement de Pierre Leroy-Beaulieu dans la chapelle de Monplaisir, MM. Guibal, de Mongallon et de Rodez-Benavent, députés de l’Hérault, devant les autorités et la foule accourues pour rendre les derniers devoirs à l’héroïque officier, à l’ancien député « mort pour la France ».

Le capitaine Pierre Leroy-Beaulieu a été fait chevalier de la Légion d’honneur ; il a été cité à l’ordre de l’armée, et la croix de guerre avec palme lui a été décernée : « Après avoir, conformément aux ordres reçus, assuré la retraite de la batterie, est revenu sur la position…, et y est tombé glorieusement frappé d’une balle à la tempe en luttant jusqu’au bout avec la dernière énergie » (le Général commandant la 6e armée : Maunoury).

Parmi les écrivains morts au champ d’honneur durant la Grande Guerre de 1914-1918, le nom de Pierre Leroy-Beaulieu est gravé au Panthéon à Paris, sur le mur, à droite de l’entrée du bureau de l’administration de ce monument. Les hommages ont été rendus le 15 octobre 1927 aux écrivains morts pour la France.

« Il nous appartenait, ce Pierre Leroy-Beaulieu, capitaine d’artillerie de réserve, qui, près de Crouy, en janvier 1915, reçoit une balle dans la tête, est emporté mourant dans les lignes ennemies et provoque par son courage l’admiration du major allemand qui essaie vainement de le sauver » (extrait du discours de M. Raymond Poincaré, ancien président de la République, président du Conseil des ministres, le 2 juin 1929, lors de l’inauguration du monument aux morts du XVIe arrondissement de Paris, Journal officiel du 4 juin 1929, p. 6193).

La ville de Montpellier, que Pierre Leroy-Beaulieu avait si brillamment représentée au parlement, décida, bien avant Bucy, en 1965, à l’occasion du cinquantenaire de sa mort, d’attribuer son nom à une place de la ville (entre le cours Gambetta et l’avenue de Lodève).

Les autres légionnaires de la famille Leroy-Beaulieu

Tous les légionnaires de la famille Leroy-Beaulieu sont issus de François-Pierre Leroy de Beaulieu (1759 – 1799), avocat au parlement de Paris, premier maire élu de Lisieux, député royaliste à l’Assemblée législative.

Son fils Pierre (1798 – 1859), avocat, procu­reur du roi à Lisieux de 1832 à 1857, fut sous-préfet de Saumur en 1842 et préfet du Lot en 1847, puis député de Lisieux de 1847 à 1857. Chevalier de l’ordre royal de la Légion d’honneur en 1833.

Henri Jean-Baptiste Anatole Leroy-Beaulieu (12 février 1842 à Lisieux – 15 juin 1912 à Paris, rue Saint-Guillaume), fils de Pierre, membre de l’Institut, conseiller général de la Haute-Marne, cofondateur de l’École libre des sciences politiques, puis directeur de cette École de 1906 à 1912. Historien, auteur d’Un empereur, un roi, un pape, une restauration, paru en 1879, analyse et critique de la politique du Second Empire ; Un homme d’État russe (1884), qui relate l’histoire de l’émancipation des serfs par Alexandre II ; L’Empire des tsars et les Russes, 1880-1888, réédité en 1988 ; Études russes et européennes, Paris, Lévy, 1897 ; La Révolution et le libéralisme, Paris, Hachette, 1890 ; Les Arméniens et la question arménienne, Paris, Clamaron-Graff, 1896…

Chevalier de la Légion d’honneur le 26 mai 1897.

Anatole Leroy-Beaulieu (1842 – 1912).
Source : Wikimedia commons.

Pierre Paul Leroy-Beaulieu (9 octobre 1843 à Saumur – 9 décembre 1916 à Paris, avenue Henri-Martin), également fils de Pierre, écono­miste libéral, élu membre de l’Institut (Académie des sciences morales et politiques) en 1878 à 34 ans. Il a été lauréat de cet Institut à cinq reprises :

- en 1867, il reçoit le prix Bordin sur la question suivante : De l’influence exercée sur le taux des salaires par l’état moral et intellectuel des populations ouvrières ;

- en 1870, prix Léon-Faucher sur la question suivante : Du système colonial des peuples modernes ;

- en 1870, prix de la section de droit public sur la question suivante : De l’administration locale comparée en France et en Angleterre ;

- en 1870, prix de la section de morale sur la question suivante : Du travail et du salaire des femmes dans l’industrie ;

- en 1870, prix de la section d’économie politique sur la question suivante : Les Impôts fonciers et leurs conséquences économiques.

Il est en outre l’auteur d’un livre intitulé Recherches économiques, historiques et statistiques sur les guerres contemporaines, ouvrage traduit en anglais et allemand. Il collabore au journal Le Temps (1868), à La Revue contemporaine (1869). Depuis 1869, il est l’un des rédacteurs habituels de la Revue des deux mondes, où il traite les questions économiques, politiques, d’administration et de droit public. Professeur à l’École libre des sciences politiques et au Collège de France en 1880, fondateur en 1873 du journal L’Économiste français, qu’il dirigea jusqu’à sa mort, conseiller général de l’Hérault de 1877 à 1907.

Chevalier de la Légion d’honneur par décret du 9 août 1870. À ce sujet, il écrit au Grand Chancelier, afin de le prévenir qu’il désire recevoir de la main de son beau-père Michel Chevalier, grand officier de la Légion d’honneur, le brevet et les insignes. Il précise que l’un et l’autre résident au n° 27 de l’avenue du Bois (ancienne avenue de l’Impératrice, puis plus tard avenue Foch). Officier de la Légion d’honneur le 28 février 1896.

Michel Chevalier est né à Limoges le 13 janvier 1806. Le 16 avril 1845, à Lodève, il avait épousé Emma Fournier, fille unique de René Fournier et petite-fille de Gaspard Barbot. De ce mariage naquirent quatre filles, dont la deuxième, prénommée Cordélia comme sa marraine la maréchale de Castellane, allait épouser en 1870 Paul Leroy-Beaulieu, ce qui explique l’entrée du domaine de Monplaisir dans le patrimoine de cette famille.

À 10 ans, en 1817, il entra au collège royal de Limoges ; il y remporta le prix d’excellence de philo­sophie. Remarqué par ses deux professeurs pour ses brillantes qualités, qui déci­dèrent de le préparer à l’École polytechnique, et il fut reçu premier au con­cours d’entrée en 1823. En 1825, il entra comme élève ingénieur à l’École des mines. Brillant élève, il trus­ta les premières places et même fut déclaré hors concours le 18 avril 1829.

En 1830, après la révo­lution de Juillet, il devient un adepte de la doctrine saint-simo­nienne et éditeur du journal Le Globe. En 1833, le ministre de l’Inté­rieur Adolphe Thiers l’envoie en mission aux États-Unis et au Mexique, pour y observer l’état industriel et économique des Amériques. À Mexico, il rencontre Andrés Ma­nuel del Río, l’un des plus grands minéralogistes de son temps.

En 1835 (un mois à peine de retour en France), il est nommé membre de la Commis­sion de statistique et des industries minérales ; le 15 novembre 1836, il est nommé maître des requêtes au Conseil d’État ; le 27 avril 1837, il est promu dans son corps d’origine (les mines) ingénieur ordinaire de 1re classe…

En 1837, il publie Des intérêts matériels en France, qui marque le véritable début de sa carrière.

Il est nommé cette année-là chevalier de la Légion d’honneur.

En 1838, il est nommé successivement conseiller d’État en service extraordinaire, membre du Conseil supérieur du commerce, membre du Conseil supérieur de l’instruction publique et, en outre, conseiller technique de la Compagnie des chemins de fer fondée par ses amis Émile et Isaac Pereire.

Le 15 décembre 1840, il est nommé ingénieur en chef du corps des mines.

Mais le plus important pour lui, il avait été nommé le 29 novembre 1840 — à 34 ans ! — professeur au Collège de France, titulaire de la chaire d’économie politique créée en 1830 par Jean-Baptiste Say, et dont un Italien, le comte Pellegrino Rossi, était le détenteur…

Député de l’Aveyron (1845), sénateur de l’Empire (1860), membre de l’Institut en 1851. Sa candidature à l’Académie des sciences morales et politiques se heurta à une campagne acharnée de ses adversaires, mais Michel Chevalier fut élu et atteignit ainsi à 45 ans le sommet de sa carrière intellectuelle. La même année, il est élu conseiller général de l’Hérault.

À partir de 1852, sa collaboration avec l’empereur Napoléon III, dont il est le conseiller le plus écouté pour les questions économiques, devint de plus en plus étroite et l’absorba de plus en plus.

Président du conseil général de l’Hérault (1851 – 1871). Auteur du traité du commerce de libre-échange entre la France et l’Angleterre (1860), président fondateur de la Ligue internationale de la paix. Peu de temps après la signature de ce traité, l’Empereur lui conféra la dignité de sénateur de l’Empire et de grand officier de la Légion d’honneur. C’est l’apogée de sa carrière. Il fut le seul membre du Sénat à voter, en 1870, contre la déclaration de guerre à la Prusse. Président fondateur de la Société du tunnel sous-marin entre la France et l’Angleterre.

Combien me faudrait-il de pages pour retracer la brillante carrière de cet homme exceptionnel dans des domaines aussi importants, différents même, l’industrie, la science, l’économie, l’humanisme, la politique ?… Un nombre incalculable !

Titulaire de la grande médaille d’or décennale de la Société royale d’Angleterre pour services rendus à la science (1875). Grand-croix des ordres impériaux et royaux de Sainte-Anne et de Saint-Nicolas de Russie. Grand-croix de l’ordre royal de l’Étoile polaire de Suède. Grand-croix des ordres impériaux de la Rose et du Christ du Brésil. Grand-croix de l’ordre royal de Frédéric de Wurtemberg. Grand-croix de l’ordre impérial de la Couronne de fer d’Autriche. Grand-croix de l’ordre royal de l’Aigle rouge de Prusse… Il était membre d’académies étrangères.

Quelques-uns de ses ouvrages : Essais de politique industrielle (1843), Cours d’économique politique en trois volumes (1842 – 1850), L’Isthme de Panama, suivi d’un aperçu sur l’isthme de Suez (1844)…

Revenons sur la vie familiale et affective de Michel Chevalier, très intéressante pour Bucy-le-Long. En effet, de son mariage avec Emma, quatre filles étaient nées : Marie, Cordélia (relation faite plus haut), Camille, et la dernière fille, Geneviève, épousa M. Émile Dehollain — famille éminemment connue et estimée à Bucy[8] —, important industriel cotonnier.

Michel Chevalier est mort le 28 novembre 1879 au château de Monplaisir et il repose dans la chapelle familiale du domaine.

Alexis Gaspard Barbot (22 avril 1773 – 31 août 1845) est fabricant de drap à Lodève dès la fin de 1793. Il épouse une jeune fille de Magalas, Marie Françoise-Xavière de Vanière, qui mourra prématurément le 10 août 1812. Gaspard est appelé à siéger au conseil municipal de Lodève par décret impérial du 3 ventôse an XIII (22 février 1805) ; il en fera partie jusqu’à la fin du Premier Empire. Juge au tribunal de commerce de Lodève en les années 1825, 1826 et 1827. Il devient maire de Lodève en 1832 et le demeure jusqu’à sa mort le 30 août 1845. Membre du conseil d’arrondissement de Lodève depuis sa réorganisation en vertu de la loi du 22 juin 1833.

Le 10 avril 1820, un double mariage a lieu à la mairie de Lodève. La fille aînée de Barbot, Marie-Philippine, épouse François-Ignace de Bourzac, lieutenant de dragons de la Seine, fils d’un négociant d’Angoulême. Sa fille cadette, Marie Camille Xavière, épouse un négociant de Lodève, Jean Barthélemy René Fournier.

Il est fait chevalier de la Légion d’honneur par ordonnance royale le 27 janvier 1842.

Jean Barthélemy René Fournier, officier de la Légion d’honneur (14 mars 1781 – 1858). Le gendre de Barbot, en 1824, acquiert conjointement avec son beau-père le domaine de Monplaisir. Dès qu’il a atteint l’âge d’homme, il prend la succession du commerce de draps de son père, qui meurt le 29 nivôse an XI (19 janvier 1803). Après son mariage, René Fournier est associé à la fabrique de draps de son beau-père Barbot. L’activité des deux hommes réussit à faire de leur établissement un des plus importants de Lodève. C’est à cette époque que le domaine de Monplaisir, jusque-là rural, voit se créer une manufacture. En 1845, Fournier marie sa fille avec Michel Chevalier (relaté plus haut). C’est à cette occasion que sont plantés sur la route de Bédarieux les platanes qui subsistent encore aujourd’hui.

Paul Leroy-Beaulieu est né le 9 juillet 1902, fils du capitaine Pierre Leroy-Beaulieu. Diplômé de l’École libre des sciences politiques et de l’université d’Oxford. Inspecteur des finances (concours qu’il passe en 1928). En 1943, il part pour Alger avec son ami Couve de Murville, directeur des finances à Vichy en 1943. Il est à Washington en 1944, où il collabore avec Jean Monnet, ancien conseiller financier du Haut Commandement allié à Berlin, puis à Bonn, ancien président du bureau économique et financier de l’OTAN.

De 1953 à 1957, il est conseiller financier à Londres, où il relance l’idée du tunnel sous la Manche chère à son bisaïeul Michel Chevalier et aide à la formation du Groupe d’études franco-anglais pour cet important projet. En 1958, il est membre de ce Groupe d’études. Inspecteur général des finances depuis 1956, il quitte l’administration pour devenir en 1958 le président de la Société des mines de fer de Mauritanie (MIFERMA). Il est commandeur de la Légion d’honneur.

Michel Leroy-Beaulieu (9 février 1904 – 1985), autre fils de Pierre, le second. Après ses études supérieures à la faculté de lettres et à la faculté de droit de Paris, ainsi qu’à l’École libre des sciences politiques à Paris et à l’université d’Oxford, il épouse Yvonne de Gailhard-Bancel et effectue plusieurs longs voyages à l’étranger (comme son père), notamment dans les pays nordiques, en Europe centrale et en Amérique du Sud. En 1940, il est fait prisonnier. En 1941, il devient adjoint de l’attaché financier près l’ambassade de France à Berne.

En 1944, il rejoint d’armée comme officier de liaison près des armées américaines. En 1945, après la guerre, il est nommé premier secrétaire d’ambassade et occupe différents postes au ministère des Affaires étrangères et aux Nations-Unies.

De 1951 à 1955, il est d’abord ministre, puis ambassadeur au Costa-Rica. De 1960 à 1961, il est ambassadeur en Bolivie. Décoré de la croix de guerre, il est chevalier de la Légion d’honneur.

Marc Leroy-Beaulieu, également fils de Pierre, le cinquième enfant, né le 2 mai 1908. Après de brillantes études à la faculté de droit et à l’École des hautes études commerciales, il avait opté pour le barreau. Avocat à la cour de Paris, ancien secrétaire de la Conférence du stage, un bel avenir s’ouvrait devant lui. La guerre en décida autrement. Lieutenant (de réserve) au 3e régiment d’automitrailleuses de cavalerie, il se bat avec ardeur au Luxembourg lors de l’attaque allemande de mai 1940, et y gagne sa première citation. L’unité de Marc se replie près de Montcornet sous les ordres du colonel de Gaulle. Regroupés à Dizy-le-Gros, les véhicules blindés légers de notre lieutenant livrent une bataille acharnée, inégale face à l’ennemi doté de chars lourds.

Marc est tué, dans ce village, le 16 mai 1940, avec une dizaine d’autres officiers, dans l’Aisne, non loin des bords de cette rivière — qui a donné son nom à ce département — et de l’endroit où son père tomba aussi vingt-cinq ans plus tôt, à Bucy-le-Long, et si loin des origines de cette brillante et admirable hérédité familiale.

Il a reçu la croix de guerre avec palme (citation à l’ordre de l’armée) et la Légion d’honneur à titre posthume. Son corps repose dans la chapelle de Monplaisir.

Pierre Leroy-Beaulieu, fils aîné de Paul, issu de son premier mariage avec Marie-Thérèse de Gailhard-Bancel, né le 5 décembre 1928, a confirmé le goût et la tradition politiques des Leroy-Beaulieu. C’est à Béziers qu’il se présenta aux élections législatives de 1968 et il fut élu député gaulliste (U.N.R.) contre le député communiste Balmigère, député sortant, maire d’Agde, et contre MM. Brousse, maire de Béziers, et Coste-Floret, qui avait été huit fois ministre. Il fut activement appuyé localement pendant la campagne électorale par son oncle Jean. Avec lui, la famille Leroy-Beaulieu compte quatre générations de députés, deux dans le Calvados et deux dans l’Hérault… Il fut conseil en relations publiques, député de l’Hérault de 1968 à 1973, maire d’Agde de 1971 à 1988, conseiller général et questeur du conseil régional du Languedoc-Roussillon. Officier de la Légion d’honneur.

On signalera, en terminant, Philippe Leroy-Beaulieu, né à Paris le 15 octobre 1930 (frère de Pierre), comédien de cinéma, chevalier de la Légion d’honneur, croix de guerre des théâtres d’opérations extérieurs, croix de la valeur militaire.

Hommage à ces brillants et grands hommes, les Leroy-Beaulieu, qui ont tant donné à la France cette noblesse d’esprit de conquête au profit de la science, de l’industrie, de l’économie…, et par leur engagement patriotique, l’ont élevée au plus haut degré de notre humanité.

Louis Férin[9].
Correspondant du journal Le Combattant de Verdun.

 

[1] Remerciements à M. Olivier Azzola, conservateur des archives de l’École polytechnique à Palaiseau pour ce magnifique portrait de Pierre Leroy-Beaulieu.

[2] Durant cette guerre des Boers, peut-être aurait-il rencontré Winston Churchill, qui transmettait ses comptes rendus de correspondant de guerre ?

[3] Émile Boutmy (1835 – 1906), journaliste et brillant pamphlétaire, est le père fondateur du célèbre institut en 1871.

[4] Alfred de Foville (1842 – 1913) était un statisticien et économiste, polytechnicien, à la carrière brillante de haut fonctionnaire. Il publia de nombreux ouvrages d’économie, comme L’Épargne en France (1889), La Richesse en France et à l’étranger (1893)…

[5] Pierre-Émile Levasseur (1828 – 1911), membre de l’Académie des sciences morales et politiques, professeur au Conservatoire des arts et métiers, à l’École libre des sciences politiques… Il publia un Grand Atlas de géographie physique et politique (1890 – 1894), L’Agriculture aux États-Unis (1894).

[6] Henri de Rodez-Benavent (1877 – 1952), propriétaire viticulteur, maire de Cazilhac près de Ganges, conseiller général du canton de Ganges, député de l’Hérault de 1919 à 1924 et de 1928 à 1936, siégeant à droite, mais non inscrit à un groupe parlementaire.

[7] Bernhard Kellermann était né à Fürth le 4 mars 1879. On doit à ce grand écrivain : Der Tor (« La Porte ») (1909), Das Meer (« La Mer ») (1910), publié en français en 1924, Der Krieg im western, Kriegsbericht (« La Guerre en Occident, Reportage de guerre ») (1915), Krieg im Angonnenwald, Kriegsbericht (« Guerre en forêt d’Argonne, Reportage de guerre ») (1916), Der 9 November (« Le 9 Novembre ») (1920), Die Stadt Anatol (« La Ville d’Anatol ») (1932), Lied der Freundschaft (« Chanson de l’amitié ») (1935), Das Blaue Band (« Le Ruban bleu ») (1938), Totentanz (« Danse macabre ») (1948). Der Tunnel (« Le Tunnel »), en 1920, fut adapté au cinéma en 1935 par Curtis Bernhardt, une production franco-allemande avec Jean Gabin et Madeleine Renaud. Il est décédé à Klein-Glienicke près de Potsdam en 1951.

[8] La famille Dehollain est représentée à l’AHH par plusieurs petits-neveux d’Émile (NDLR).

[9] J’adresse mes sincères remerciements à M. Rémi Leroy-Beaulieu pour son aimable collaboration et le prêt d’une riche documentation.